UNE SAISON GALÈRE
RETOUR SUR LE FEUILLETON DE L’HIVER
- Pour Didier cette saison 1992 n’a pas été un long fleuve tranquille. Et pourtant, il a continué à s’entraîner comme un damné sur nos routes de Dordogne et par tous les temps, de façon à être opérationnel dès qu’il aurait une proposition d’équipe. Dans ce contexte on a entendu beaucoup de choses, d’autant plus que Virvaleix n’était pas le seul à se trouver dans une voie de garage qui aurait pu l’amener jusqu’à l’ANPE. On a certes entendu beaucoup de bruits sur son sujet mais il est utile de préciser que son éventuelle adhésion au sein de "Chazal Vanille et Mûre" ne reste qu’une rumeur médiatique. Et pour connaître le long chemin de croix de janvier et de février de notre coureur, relisons les circonstances ci-dessous. Lire sa saison 1991 sur ce LIEN.
La nouvelle formation Eurotel-Samro avec Virvaleix comme chef de file
LE CHEMIN DE CROIX DE DIDIER
- En quelques mois, Didier Virvaleix a mûri. Sur les rives de la Dordogne qui l’ont vu grandir, le petit gringalet timide, perdu au milieu des Belges flamands, Hollandais, Allemands et Danois d’Histor Sigma au départ du Tour à Lyon en juillet dernier, s’est forgé un caractère. Son premier Tour de France l’a doté d’une étonnante assurance. Physiquement tout d’abord puisqu’il s’est aperçu qu’il pouvait récupérer sur une course de trois semaines mais surtout mentalement. "J’ai couru pendant quatre jours avec une sciatique. Je pédalais sur une jambe mais j’ai tenu. : je voulais voir les Champs Elysées" raconte t-il posément.
- Les Champs Elysées il les a vus. Et comme tous les bleus un grand frisson lui a parcouru le dos quand il a déboulé à fond sur la plus belle avenue du monde. "Ça allait vite, très vite, et quand j’ai vu tout ce monde, j’ai voulu me montrer. J’ai roulé devant avec Bugno et les autres" se souvient-il encore, assis sur les bords de la Dordogne à Bergerac où il passe la plupart de son temps libre.
- Malgré son petit gabarit (1,73 m pour 63 kg), le Périgourdin a suscité le respect dans le peloton du Tour. Les 23 et 24 juillet l’ont fait sortir de l’anonymat. Trente cinquième au sommet de l’Alpe d’Huez, il termine 9° le lendemain à Morzine. Il devient l’égal des Fignon, Delgado, Indurain et Bugno qui terminent dans le même temps que lui.
- Didier Virvaleix vit son heure de gloire loin de Périgueux, sa ville natale. Les Buckler de Jean Raas lui font les yeux doux. Les Hollandais aimeraient bien un autre grimpeur pour accompagner Stéven Rooks. "Mais juste après le Tour, je me suis fatigué sur les critériums et les autres résultats n’ont pas confirmé. En plus j’ai chopé une rhino que j’ai trainée de longues semaines"poursuit-il en baissant ses yeux gris.
- Copain de Vincent Lavenu, nouveau directeur sportif de "Chazal-Vanille et Mûre", le quatrième groupe cycliste français après Castorama, Z et RMO, Virvaleix hésite. Les propositions sont alléchantes, mais il faut donner une réponse rapidement. Trop rapidement, il préfère ne pas se précipiter. Un mirage s’évanouit.
- Puis c’est au tour de Cyrille Guimard de le contacter. Mais finalement chez Castorama, il y a déjà tout ce qu’il faut ! Et voilà le petit Périgourdin en rade. Comme un de ces sales coups de fringale qui vous prennent en pleine ascension d’un col.
- C’est l’hiver et l’ombre de l’ANPE se fait de plus en plus pressant sur ses frêles épaules. C’est l’inévitable gamberge. Mais Didier s’accroche. Son nouveau mental l’aide encore. "J’ai continué à m’entraîner. Sous la pluie dans le vent. Ce n’est pas toujours évident, mais quand on est dans sa situation, on aurait presque envie d’aller à l’usine. C’est peut-être bête à dire, mais c’est comme ça", commente t-il. Il pense à ses copains, comme Abadie, restés sans emploi.
- Et un beau jour, la sonnerie du téléphone retentit à Troche, chez Valérie, la copine de Didier. Au bout du fil Yvan Raphanel, commanditaire de la cinquième équipe française, Eurotel-Samro. "A l’époque on ne savait pas si on démarrait avec des capitaux belges ou français. Mais j’étais déjà pressenti pour être leader de l’équipe" poursuit Virvaleix.
- Le ciel s’éclaircit enfin au-dessus de la Dordogne. Pas pour longtemps. On frôle une nouvelle fois le crash en plein décollage : les diplômes du directeur sportif belge Didier Paindaveine, ne sont pas reconnus en France. La Fédération met à son tour des bâtons dans les roues, Yvan Raphanel rappelle Didier : "l’équipe est née, mais elle est déjà morte". La poisse colle au cuissard de Virvaleix.
- En fait tout s’arrange après un coup de gueule de Marc Madiot, le porte parole du peloton français. Laurent Fignon fait également pression. Madiot, parti courir pour l’équipe allemande Télékom et Fignon émigré en Italie (Gatorade) n’oublient pas leurs petits copains abandonnés. Ils ont finalement gain de cause.
- On est à la mi-février. La belle aventure peut enfin commencer. Avec sept néo-pros et Didier Virvaleix 419° au classement mondial, comme leader. Eurotel va rejoindre le peloton en marche. Mais après toutes ces péripéties, Virvaleix assure qu’il n’a jamais été aussi motivé. "On va entendre parler de nous, vous verrez" lance t-il d’un ton sûr et décidé.
- Eurotel-Samro ne figure évidemment pas dans les vingt premières équipes pros sur le plan mondial. Les portes du Tour de France lui seront dont closes. "c’est dommage, car j’aurai bien aimé confirmer. Mais il y a eu un premier miracle, alors pourquoi pas un second ?" lance Virvaleix. Le cas de Ronan Pensec, qui avait pigé l’année dernière sur le Tour sous les couleurs d’Amaya n’est pas passé inaperçu.
Tour du Haut-Var, première échappée avec Didier Virvaleix sous le maillot Eurotel
1992 AVEC EUROTEL-SAMRO
- Yvan Raphanel, né le 22 août 1944 à Riom (Puy de Dôme), décide de s'investir dans le cyclisme, étant né dans une famille pratiquant le cyclisme. Annoncée dès la fin de l'année 1991, l'équipe est sponsorisée par la société d'Yvan Raphanel, Eurotel, qui fabrique du matériel inox et l'installation de cuisines pour les collectivités. L'équipe Eurotel-Samro naît au début de la saison 1992. Elle est basée en France et est dirigée par Didier Paindavaine, qui vient de quitter l'équipe cycliste Mosoca Eurotel, au poste de directeur sportif. Elle possède cinq coureurs qui étaient déjà professionnels l'année précédente, mais aucun vrai leader. Elle permet à un certain nombre de jeunes coureurs de débuter, dont Franck Morelle, champion de France amateur en 1990. Elle débute au Tour du Haut Var en 1992 avec 10 coureurs. Pendant la saison, elle obtient peu de résultats. L'équipe participe d'ailleurs à la Coupe de France, Herve Henriet 3e du grand prix de Denain, puis aux 4 Jours de Dunkerque, ou à la Route du Sud, invité à Paris Roubaix par Albert Bouvet mais cette épreuve étant redoutable elle refuse sa sélection ainsi qu au Critérium du Dauphiné libéré faute de pouvoir aligner 8 coureurs ayant de l expérience suffisante. Les coureurs de l'équipe passent rapidement pour les "smicards du peloton" comme l'explique le Belge Claude Rudelopt au Soir en 1992. Au championnat de Belgique, il est accompagné d'un mécanicien et d'un soigneur pour deux coureurs, ce qui traduit le manque criant de moyens de la petite formation. L'équipe voit un de ses coureurs sélectionné au Championnat du monde : Akira Asada. L’entreprise n ayant pu trouver un vrai partenaire cherche, dans un premier temps, un partenaire financier pour pouvoir grandir et payer convenablement ces coureurs. À la fin de la saison, l'équipe disparaît faute de finances, après avoir renoncé à chercher un partenaire secondaire. Elle n'a en effet pas pu payer une partie des salaires, ce qui a provoqué le départ de Didier Paindavaine, qui devait amener un budget et n'a jamais pu respecter son engagement dans une période de crise financière, et son remplacement par Patrick Valcke, celui-ci n'ayant pas pu trouver des partenaires malgré ses connaissances du milieu. Une partie de l'équipe fusionne avec l'équipe russe Russ-Baikal.
Séance d'autographes au départ de Cholet Pays de Loire
LE PARI D’YVAN RAPHANEL
- "Je ne suis pas Bernard Tapie" Yvan Raphanel, PDG d’Eurotel, une marque de cuisines pour l’hôtellerie, n’est pas débarqué dans le monde du cyclisme par hasard. Encore moins avec une malette bourrée de gros billets. A 48 ans, ce chef d’entreprise parisien, originaire de Riom, dans le Puy de Dôme, est un amoureux fou du vélo. Comme l’étaient avant lui son père et ses cousins.
- Contrairement à Tapie, Raphanel a misé d’emblée sur la jeunesse. "Quand l’année dernière, j’ai commencé à parler de monter une équipe pro, tout le monde m’a ri au nez. Si t’as pas 20 millions de francs, ce n’est pas la peine, m’a-t-on lancé" raconte t-il. Et pourtant aujourd’hui, même s’il y a un léger retard à l’allumage, Eurotel est là. Aidé par Samro, le premier fabricant Européen de remorques installé en Vendée.
- Evidemment, une équipe composée de sept néo-pros (soit autant que dans toutes les autres équipes françaises réunies) peut prêter à sourire. D’autant qu’Yvan Raphanel a même réservé une place à son gendre, Gilles Bénichon, un bleu de 30 ans, à qui il offre un beau cadeau !
- Les mauvaises langues iront même assimiler Eurotel-Samro à une de ces fameuses formations de deuxième division dont les coureurs ne veulent pas entendre parler. C’est sur qu’il ne faut pas s’attendre à des miracles cette saison, prédit lucidement le patron de l’équipe. "Nous voulons avant tout jouer un rôle de formateur. Et si nous révélons un ou deux coureurs par saison pour de plus grandes équipes, notre pari sera gagné."
- Avec un budget de 4,5 MF (évidemment l’un des plus petits du peloton) pour sa première saison, Yvan Raphanel est persuadé qu’il opte pour la bonne solution. D’ailleurs, il s’est engagé pour dix ans. "Dès notre première sortie, sur le Het Volk, la présence de Didier Virvaleix dans le groupe de tête a rabaissé le caquet de certains. Nous avons prouvé que nous n’étions pas là pour faire de la figuration" se réjouit le commanditaire.
- Dès la saison prochaine, le budget d’Eurotel-Samro devrait atteindre 8 MF. "Cette somme que je ne devrais pas avoir de mal à trouver, servira à engager un coureur plus expérimenté",annonce Yvan Raphanel. Pour 1992, il n’est surtout pas question de mettre de la pression sur l’équipe. "Le Het Volk l’a démontré. Sans pression, les coureurs surtout inexpérimentés, peuvent s’exprimer totalement. Maintenant, je leur ai fourni des équipements, de belles voitures, un directeur sportif. A eux de pédaler".
Au départ d'une épreuve à Getxo en Espagne
- La confiance placée par le PDG d’Eurotel dans cette bande de néophytes n’a pas tardé à porter ses fruits. Que ce soit au Tour du Haut-Var ou au Het Volk, les Eurotel se sont montrés aux avants postes. Dès leur prochaine sortie, dimanche prochain au Grand Prix de Cholet, ils devraient confirmer. Avant d’exploser sur le Midi Libre ou le Dauphiné Libéré leurs deux grands rendez-vous de cette saison baptismale.
- La saison 1992 de Didier fut une saison calme. Privée de Tour de France, la formation a rapidement démontré ses limites dans le concert du milieu pro. On s’est cantoné alors aux épreuves de la Coupe de France où le coureur de Boulazac a obtenu quelques places… pour quitter le milieu le 6 août lors du Bol d'Or où il s'était illustré la saison passée.
SAISON 1992 (pros Eurotel Bio-Technica Samro-palmarès connu) : (lieux de course et résultats communiqués) - seuls les noms des vainqueurs connus sont indiqués en caractères gras italiques)
68° Tour du Haut-Var le 22 février (1° Gérard Rue Fra/Castorama).
58° Omloop Het Volk le 29 février (1° Johan Capiot Bel/TVM Sanyo).
32° Cholet-Pays de Loire le 22 mars. (1° Laurent Desbiens Fra/Collstrop Garden Wood).
Critérium International du 28 au 29 mars (1° Jean-François Bernard Fra/Banesto).
10° classement général Tour du Vaucluse (31 mars au 5 avril) 1° Robert Forest Fra/Chazal Vanille et Mûre).
59° Circuit de la Sarthe du 8 au 11 avril (Jean-François Bernard Fra/Banesto).
56° Paris-Camembert le 21 avril (1° Patrice Esnault/Chazal).
14° Trophée des grimpeurs le 3 mai. (1° Marc Madiot Fra/Telekom Merckx).
37° Classique des Alpes le 23 mai (1° Gilles Delion Sui/Helvetia).
13° Classement général Tour d’Armorique du 26 au 28 mai (1° Peter Leclercq Bel/Lotto Mavic), 3° de la deuxième étape Saint-Nazaire-Lanester (1° Jean-Claude Colotti/Fra/Z Lemond), 11° de la 3° étape Lanester-Quimperlé (1° Jean-Cyril Robin Fra/Castorama).
3° Bergerac le 8 juin (1° Laurent Pilon Fra/MG Boys).
10° Bol d’Or des Monédières le 6 août (1° Richard Virenque/RMO).
Composition de l’équipe Eurotel
Didier Paindaveine (directeur sportif), Didier Virvaleix Fra 25 ans (ex-Histor), René Foucachon Fra 26 ans (ex-Mosoca), Michel Stasse Bel. 24 ans (ex La William), Nicolas Coudray Suisse 24 ans néo-pro, Claude Rudelopt Bel 22 ans néo-pro, Hervé Henriet Fra 28 ans néo-pro, Franck Morelle Fra 27 ans, néo-pro, Gilles Bénichon Fra 30 ans néo-pro, Michel Lallouet Fra 27 ans néo-pro, Marc Frèze Fra 26 ans néo-pro.
La Fin d’Eurotel : Dès la fin de l’été les coureurs n’ont plus perçu leur salaire. Cette situation entraîna des désistements des coursiers dans les épreuves. Une démobilisation généra des actions en justice où Eurotel était invité à comparaitre. Les tribunaux des Prud’hommes ont mis de même leur nez dans cette affaire. S’en était fini pour l’équipe qui disparu totalement et qui laissera tous ses sportifs sur le carreau. Ceux-ci empêtrés avec une justice lente, ne pourront même pas profiter des transferts saisonniers et quitteront la scène cycliste définitivement ou se retrouveront chez les amateurs.
A Bergerac avec Pilon vainqueur, en retrait Virvaleix 3°
L’APRÈS EUROTEL
- 1992 constituait la onzième saison cycliste de Virvaleix, mais aussi la quatrième et dernière dans les rangs des professionnels. Comment un coureur de sa trempe a pu terminer ainsi ? Dans les chaumières Périgourdines on a beaucoup parlé de ça à cette époque. Et surtout on n’a jamais comprit pourquoi ce coureur méritant a été laissé tomber comme une chaussette par les sponsors et le monde professionnel. Un monde professionnel où règne la loi de la jungle, un monde sans partage, un monde sans cœur, sans considération. Dans ces circonstances graves, il est bon de se mémorer le long chemin parcouru et de se demander pourquoi Histor-Sigma qui voulait régenter le milieu n’a pas non seulement tenu ses promesses, mais a laissé tomber ses coureurs sans s’occuper à les reclasser. Puis Eurotel est venu et là encore à coups de promesses, on a rapidement constaté que celles-ci n’étaient qu’un mirage, une illusion, un feu de paille. Et pourtant notre Virvaleix n’était pas un simple porteur d’eau ! C’était un coureur courageux, robuste, dur au mal, grimpeur infatigable, sachant souffrir, au petit gabarit parfois effacé mais très efficace. Autant d’adjectifs pour lesquels on n’a pas tenu de cas. Quel gachis ! Quel dommage ! Triste de constater qu’une carrière tient à peu de choses et que le milieu cycliste a un grand besoin, celui de l’humaniser.
- On connait la suite avec un arrêt de la compétition dès le mois d’août, des salaires qui ne seront plus payés, puis le long chemin de croix devant les tribunaux pour obtenir son dû. La suite sera un retour précipité chez les amateurs, que nous verrons sur la prochaine publication.
RÉTRO VÉLO DORDOGNE - DIDIER VIRVALEIX 10 © Bernard PECCABIN
La mémoire du cyclisme en Dordogne (1993 et 1994 son retour chez les amateurs sur ce lien)