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RETRO VELO DORDOGNE
19 mai 2020

1938 BORDEAUX-ARCACHON (Histoire d’une classique) - 6° partie

LA CLASSIQUE BORDEAUX-ARCACHON
la plus ancienne, la plus courte et la plus rapide du Sud Ouest
Retour sur l’histoire de cette épreuve

- Relire la publication précédente (cliquez sur ce lien).
- Attention Bordeaux-Arcachon et son histoire comportera dix-neuf publications. Pour revenir à la première publication, cliquez ici.

NORBERT BOUGON, CONSACRÉ POUR L’ÉTERNITÉ

SA VICTOIRE EN 1938 ÉCRITE DE SA PLUME

Bougon

- Et nous en arrivons aux alentours de ce mémorable 15 août 1938 et à l’ambiance qui régnait dans notre clan Arcachonnais,à la veille de l’empoignade à laquelle nous allions nous livrer contre les "Pistards" de la région" ! La veillée d’armes se passait ainsi qu’à l’habitude dans l’atelier de notre ami et conseiller Gabriel Hargues. Et les projets allaient bon train… Tous ceux de l’Union Cycliste Arcachonnaise étaient là, non seulement nous, Lafon, Dutein et moi, mais aussi les Mouliets, Daraillan, Muller, Herran, Chambeurland, qui venaient faire effectuer une ultime réparation à leur vélo ou tout simplement leur donner un coup de chiffon. Et en même temps, chacun donnait son opinion sur un éventuel déroulement de la course du lendemain avec une hypothétique et personnelle intervention active. Il était beaucoup question de tactique, du choix de vélo à employer : piste ou route…, du braquet à utiliser et même du poids des boyaux.
- En réalité nous pensions tous que seule la fougue de notre jeunesse aurait le droit de dicter le comportement qui serait le nôtre, et c’était bien ainsi car nous voulions disposer chacun de notre chance personnelle et surtout de n’avoir pas à la partager avec quiconque… C’était pour nous, jeunes coureurs de 3°et 4° catégories, l’époque de la pureté et notre esprit était loin des compromissions et des combines de toutes sortes… Nous courions pour notre seule et propre gloire et si chacun de nous pensait "Que le meilleur gagne", c’était en espérant que ce "meilleur", ce serait soi-même. Dans le groupe nous étions trois qui voulions courir avec notre bicyclette de piste, Lafon, Dutein et moi, et nous avions après mures réflexions, décidé d’utiliser le même braquet de 23 x 8 ou 46 x 16, qui développait 6,14 mètres… Ouvrons une parenthèse : c’était avec ce même développement que j’avais gagné, pour les fêtes de Pâques le Prix Reboul et le Bordeaux-Andernos. Je pensais donc que cela représentait pour moi une référence. Les autres n’étaient pas du même avis, prétendant que le dérailleur de leur vélo routier leur apporterait des possibilités que le "pignon fixe" leur refuserait.. En outre étant donné que la banderole serait placée comme d’habitude en face de l’asile Saint-Dominique et qu’il faudrait monter la petite côte devant l’école Saint-Elme, il s’avérait utile pour le sprint, d’avoir à sa disposition deux braquets différents, un pour la montée, un pour la descente. Et devant leurs arguments, en un éclair je me revis dans les difficultés où je m’étais trouvé au cours du mémorable Bordeaux-Montendre. Cependant je persistais malgré tout dans mes convictions et je préparai ma bicyclette de piste avec mon 23 x 8 et le ramenai à la maison. Je mis mon père au courant de la situation et à ce moment il eut une moue que je jugeais dubitative… Mais je n’y prêtai pas attention outre mesure… Par contre, le lendemain, au moment d’embarquer chez Longau tous les vélos, afin de les emporter sur les lieux du départ de la course, je m’aperçus que le mien comportait un développement tout autre que celui que j’avais installé la veille chez Hargues… Et je compris alors l’attitude de l’auteur de mes jours, qui, estimant que 6,14 m était un braquet trop petit, avait de sa propre initiative changé le plateau pendant le nuit et m’avait sans que j’aie pu m’en apercevoir, affublé d’un développement que je jugeais énorme de 25 x 8 ou 50 x 16, ou tenez-vous bien de 6,67 m.

Bougon père

- J’allais donc être dans l’obligation de pousser 43 cm de plus à chaque tour de manivelle… J’étais atterré car cela n’entrait pas du tout dans mes vues, mais comme il était trop tard pour changer quoi que ce fût à la situation, je fis contre mauvaise fortune, bon cœur, et au contraire, je décidais de faire une fois de plus confiance aux idées de mon père et de me convaincre que lui seul avait raison et même que son stratagème pouvait peut-être me rapporter la victoire. J’ai déjà dit que cette course était l’épreuve reine de la région et que pour les jeunes, le fait de la gagner équivalait à une consécration. C’était pourquoi chaque année, un nombre très important d’engagés se présentait au départ à l’Alouette Pessac devant les établissements Larue, un hôtel-restaurant dont l’existence remontait au siècle dernier et où traditionnellement la remise des dossards s’effectuait par les soins des officiels de l’UVF.
- Pendant longtemps, Bordeaux-Arcachon détint le ruban bleu de la vitesse avec 44 km/h de moyenne. Ce qui expliquait que si le coureur qui la disputait avait le moindre avatar, un saut de chaîne par exemple, il lui était impossible de revenir dans le peloton, tellement l’allure étai rapide… L’autre caractéristique était le danger des chutes qu’elle présentait, car courue essentiellement par les 3°, 4° catégories et débutants plus ou moins expérimentés, plutôt moins que plus d’ailleurs, les bûches étaient presque inévitables si on commettait l’imprudence de ne pas courir en tête du paquet. Et pourtant, il était bien difficile de se maintenir aux premières places à cause des attaques incessantes fusant de toutes parts. (Notre photo ci-contre avec Gaston Bougon père de Norbert et ancien vainqueur en vétéran).
- Faire la course en tête, ainsi que je l’ai dit souvent, c’était dur dans une épreuve normale, mais dans Bordeaux-Arcachon qui nous intéresse, ce fut atroce et lorsque les 80 coureurs débouchèrent d’un seul bloc à l’entrée du Boulevard Deganne, je m’étais tellement dépensé avant ce moment là que je me trouvais enfermé en vingtième position, alors que j’avais tout fait pour éviter de l’être… Et je n’étais pas tout seul dans cette situation, car alors que nous passions devant Saint-Elme, à 300 mètres de l’arrivée, j’entendis soudain la voix de Robert Lafon qui me criait "On ne va pas gagner aujourd’hui Boubiche !" Je jetais alors un regard furtif sur ma gauche et je vis l’auteur de ces paroles dans le même alignement que moi, avec devant vous, deux rangs de coureurs tous à l’ouvrage, le dos courbé, appuyant de toutes leurs forces sur les pédales, allant vers cette victoire que tout le monde convoitait et qui certainement allait m’échapper, mal placé comme je l’étais !... Et puis il y eut le miracle. Ce miracle sans lequel j’eusse terminé selon l’expression de notre jargon cycliste, avec les "et cetera", dans l’anonymat du peloton. On ne saura jamais quelle en fut la cause, mais tout à coup, sans aucune raison valable, l’ensemble des concurrents qui se trouvait juste devant moi se déporta sur la droite alors que ceux de gauche poursuivaient leur ligne sans dévier le moins du monde. La "Voie Royale" se trouva soudain dégagée devant moi et je n’eus qu’à foncer, tournant mon énorme braquet avec une facilité inouïe et je dépassais ainsi ceux que quelques secondes auparavant, je vouais à tous les diables… La banderole était là et tout à côté de la ligne d’arrivée, j’eus le temps d’entrevoir une casquette bien connue coiffant un homme les bras levés criant tellement fort mon nom qui était aussi le sien : "Bougon !" que le son de sa voix domina très nettement le brouhaha produit par la foule Arcachonnaise et que je n’entendis qu’elle ou que je ne voulus n’entendre qu’elle, cette voix qui me communiquait avant tout le monde cette joie extraordinaire que mon père venait de manifester et que j’étais si heureux de partager avec lui… Alors je pensais tout à coup au développement changé par lui dans le courant de la nuit précédente, en grand secret et une réflexion me vint tout de suite à l’esprit : mon père avait raison et je lui dois au moins la moitié de ma victoire… Et quand revenu sur la ligne pour l’embrasser avec un bouquet dans la main pour exécuter le tour d’honneur, je lui dis: "C’est grâce à toi Papa que j’ai gagné ! Merci !" Je me rendis compte qu’il avait les larmes aux yeux… Je compris alors que je venais de lui apporter vraiment une grande joie, une joie qu’il espérait depuis longtemps, une joie qui effaçait la déconvenue qu’il avait ressentie un mois plus tôt lors de l’arrivée de Bordeaux-Arès-Arcachon (Prix de la Suze) et où sur ce même boulevard Deganne, je n’avais terminé que troisième. Il exultait : "Bordeaux-Arcachon" est devenu plus que jamais la course des Bougon. En voilà la preuve aujourd’hui ! disait-il à qui il voulait l’entendre. "Je l’ai gagnée en son temps, mon frère André l’a gagnée lui aussi avant la guerre et mon fils à son tour vient de la gagner..."

Uca 38

L’Union Cycliste Arcachonnaise en 1938 avec de gauche à droite : Robert Lafon, René Prévot,
Elie Daraillan, Gabriel Hargues, Jean Andrevie, Robert Dutein,
Norbert Bougon. vainqueur de Bordeaux-Arcachon en 1938.

- Pour ma part, j’échangeais de nombreuses poignées de mains avec les amis de toujours et ceux que je découvrais à la minute présente… Et on en comptait beaucoup… Ce qui augmentait mon bonheur… Je me berçais peut-être d’illusions, mais j’avais l’agréable impression que tous les sportifs Arcachonnais étaient satisfaits du résultat que je venais d’obtenir, car le dernier sociétaire de l’UCA a avoir franchi la ligne en vainqueur, se trouvait être un certain René Lauga en 1925, treize ans plus tôt ! Le Président Longau me fit part de sa satisfaction, car non seulement j’avais gagné, mais le second n’était autre qu’André Herran, l’Arcachonnais dont je vous ai parlé si souvent… Quant à mon ami Robert Lafon, qui avait fini au cœur du peloton, à la place où je l’avais laissé 300 mètres avant l’arrivée, lorsqu’on lui dit quand il mit pied à terre : "Norbert Bougon a gagné", il resta bouche bée avant d’articuler : "Ce n’est pas possible, car il se trouvait enfermé dans le paquet avec moi à la hauteur de Saint-Elme". Et il ajouta : "Quel sacré sprint il aura du faire pour dépasser tout ce monde sur cette courte distance". Venant de lui, j’acceptais ces paroles comme un hommage et cela me fit très plaisir. Un fait qui me combla d’aise, ce fut quand je lus le compte-rendu de la course dans le même journal qui relatait au lendemain du 14 juillet le Prix de la Suze et qui critiquait durement mon sprint de troisième arrivant… Un article des plus élogieux concernant l’emballage de Bordeaux-Arcachon que je venais de remporter. Fort de la leçon apprise, le journaliste Charles Bidon me décernait toutes les qualités possibles et imaginables et selon l’expression consacrée me vouait à un grand avenir...
- Vous allez penser que je me gargarise de cette victoire, en accumulant les faits s’y rapportant. Je vous répondrais que vous avez entièrement raison cependant, je n’en ai pas honte le moins du monde. Au contraire, j’en tire une fierté que les années n’ont pas encore ternies. Je veux parler des années qui suivirent et qui m’ont pourtant apporté de notoires satisfactions dans le domaine du sport cycliste, puisque tout au long de ma carrière, je réussis à franchir en vainqueur plus de 300 fois la ligne d’arrivée. Non ! Jamais je ne fus plus content, jamais je ne me sentis aussi comblé que ce merveilleux 15 août 1938 où j’eus le bonheur de gagner le fameux Bordeaux-Arcachon. Imaginez que je venais de faire premier dans la course la plus convoitée de mon existence, celle dont j’avais entendu parler à la maison depuis mon plus jeune âge, celle qui depuis le moment où je réussissais à me tenir en équilibre sur un vélo, je rêvais de passer la ligne en triomphateur, comme mon père et mon oncle l’avaient fait à des époques différentes. Si mon ambition n’eût été aussi forte… et c’était très bien ainsi, car je voulais monter le plus haut possible, cette victoire aurait pu devenir un aboutissement et j’aurais pu m’en tenir à ce résultat tant souhaité pour raccrocher la bicyclette, avec le sentiment du devoir accompli...
- Quand tout petit j’écoutais avec ravissement mon père raconter les péripéties des nombreuses courses auxquelles il avait participé, je constatais que le Bordeaux-Arcachon revenait très souvent sur le tapis et je me souvenais également et très nettement, puisque j’en fais état au début de ce récit, de son dernier Bordeaux-Arcachon et de sa déception de n’avoir terminé qu’à la deuxième place alors qu’il aurait tant voulu gagner. J’avais eu beaucoup de peine pour lui et je m’étais promis ce jour-là de venger sa défaite. Je l’avais vu déçu et malheureux, et pour le consoler, je n’avais rien à lui dire, même pas de lui faire part de la pensée secrète qui avait soudain germé en mon esprit et par laquelle je me promettais qu’un jour, bien plus tard, quand je serais grand, cette course, je la gagnerais pour lui faire honneur ! En réalité cette épreuve n’était qu’une petite course de province, mais à mes yeux d’enfant, elle était l’équivalent d’un Paris-Roubaix ou même d’un Bordeaux-Paris, car je ne possédais pas encore la notion des valeurs, à neuf ou dix ans… Ce fut ainsi vers cet âge là, qu’un certain jour où ma mère m’ayant emmené à Bordeaux en autocar pour faire des emplettes et que je contemplais la route, alors que nous étions sur le chemin du retour et la voyant défiler sous nos yeux, je m’imaginais qu’un jour, en tenue de coureur cycliste, je la prendrais cette route et que j’arriverais en vainqueur à Arcachon sous les ovations du public.

ecusson

- Je crois qu’il n’existe rien de mieux que de réaliser un vieux rêve bercé par des années et des années d’attente et d’espoir… Soudain l’on n’a plus rien à désirer et le bonheur c’est de pouvoir pleinement se rendre compte que ce que l’on souhaitait avec tant de ferveur vient enfin de se produire. Quelqu’un venu pour me féliciter eut en somme le dernier mot dans cette histoire : ce fut Maurice Froustey qui, ainsi que j’ai eu si souvent l’occasion de le dire ne me ménagea jamais ni ses conseils, ni ses encouragements. "Savoure bien ton triomphe" me dit-il, car ni l’année prochaine, ni les autres années qui vont suivre tu ne pourras plus être premier de cette course, car sachant que par tradition, elle sera toujours réservée aux 3° et 4° catégories, elle te sera désormais interdite, étant donné qu’à partir de lundi, tu seras muté en 2° catégorie. Tout cela s’avéra exact et dans la semaine qui suivit je reçus de l’Union Vélocipédique Française, la notification de ma montée en catégorie supérieure. Cela impliquait que désormais, les seules courses auxquelles je pourrais avoir accès, seraient très difficiles… En somme j’allais sauter le pas et passer dans la cour des grands.

Norbert Bougon (extraits de son livre Histoire d’un coureur cycliste d’avant guerre)
RÉTRO VÉLO DORDOGNE - L’Histoire de la Classique BORDEAUX-ARCACHON (6)
© BERNARD PECCABIN
 (à la mémoire d’Hubert Longau, de Gaston Bougon et de tous les crabes de l’UC Arcachon)
Prochaine partie : la course en 1946 et 1947

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